De la
sérendipité en socio-écologie végétale
Marc Gozlan dans le supplément « Science
& Techno » du Monde daté du 25 août
En effet, alors que la banque SOPHY n’en était
qu’à ses débuts (Brisse et al., 1980), il
s’agissait, pour ses promoteurs, de vérifier l’intuition selon laquelle il
était possible d’introduire l’écologie dans des listes de plantes (les relevés
phytosociologiques) au moyen de la caractérisation (ou
« étalonnage ») socio-écologique des plantes. Cette caractérisation
consistait à calculer la probabilité que le milieu qui convenait à une plante B
pouvait convenir aussi à une plante A. La plante B (considérée comme un indice
de variable) est l’une des multiples co-occurrentes de la
plante A (plus de 1500 en moyenne). Ainsi, dès que l’on eût rassemblé un
millier de relevés (1420), chaque plante de cet embryon de banque pût être
caractérisée par un millier d’indices de variables (1223) constituant ainsi un
« tableau des fidélités des plantes (A) aux indices de variables que sont
ces mêmes plantes (B) ». C’est un tableau carré puisque chaque plante joue
tour à tour le rôle d’une plante à caractériser (A) ou celui d’un indice de
variable (B). Dans ce tableau, les lignes horizontales correspondent aux
comportements socio-écologiques des plantes, et les colonnes correspondent à ce
que l’on appelle la flore probable. Les fidélités d’une colonne expriment la
probabilité de présence du milieu propice à la plante.
A l’époque, le tableau des fidélités n’était
utilisé que pour caractériser l’écologie des plantes et, dans la foulée,
définir les milieux des relevés. Avec cette publication, on pouvait penser que
nous avions rempli notre « contrat » qui consistait à proposer une
méthodologie destinée à refonder la phytosociologie sur une base numérique. Mais
les résultats obtenus étaient tellement satisfaisants que nous continuâmes à
rassembler les relevés phytosociologiques (deux centaines de milliers de
relevés) élaborés par des centaines de botanistes (plus de 2000) sur toute
La notion de flore probable n’avait pas été
recherchée à tel point que nous avions hésité pour la dénomination de cette
application que nous appelions tantôt, « flore possible »,
« flore potentielle » puis finalement « flore probable ».
On pourrait du reste l’appeler désormais « milieux probables pour les
plantes ». En tout cas, elle relève de la sérendipité (la fortuité des
canadiens), de la découverte inattendue.
La flore probable d’une plante considérée a une
propriété particulière qui fait qu’aucune de ses observations n’est utilisée
pour la cartographier. Ce sont les observations de toutes ses co-occurrentes
qui concourent à sa cartographie. La conséquence est que certaines stations
dans lesquelles la plante a été dûment observée peuvent ne pas figurer sur la
carte correspondante. A l’inverse, de nombreuses stations dans lesquelles la
plante n’a pas été observée figurent sur la carte mais, dans tous les cas, les
fidélités montrent les gradients écologiques des milieux favorables à la
plante. Les valeurs les plus fortes montrent le centre écologique de la plante,
ses marges, plus ou moins dispersées, expriment les différentes contraintes
auxquelles elle est soumise. D’un autre côté la réécriture écologique des
relevés phytosociologiques (de Ruffray et
al., 2011),
permet de découvrir les plantes qui pourraient se trouver dans chacun des relevés
(plantes discriminantes « absentes » du relevé).
La flore probable peut avoir des applications
pratiques, notamment pour localiser des stations qui pourraient être favorables
à une plante menacée. Elle peut montrer également dans quelles directions une
plante pourrait se déplacer si les conditions de milieu changeaient
suffisamment.
En fait, la flore probable est une conséquence
du changement de paradigme qui a introduit l’écologie en phytosociologie. Elle
est à la base de la banque SOPHY proprement dite, ainsi que de la multitude des
résultats qui en découlent. Des développements ultérieurs, tels que la cartographie
hiérarchisée de la végétation ou l’utilisation de critères morphologiques des
plantes (traits), montreront l’efficacité de cette méthodologie utilisant à la
fois, une banque de données de végétation, le changement de paradigme (de
Ruffray et al., 2006) et la flore
probable (Brisse et al., 1995), car
ce sont les éléments les plus à même d’apporter des progrès dans l’étude de la
végétation.
Bibliographie
Brisse H., Grandjouan
G., Hoff M. et P. de Ruffray, 1984.- Utilisation d’un critère de l’écologie en
phytosociologie. Exemple des forêts alluviales en Alsace. « La végétation des forêts alluviales »,
9ème Coll ; Ass. Internat. Phytosoc., Strasbourg, 1980,
éd ; Cramer, 543-590.
Brisse H., de Ruffray
P., Grandjouan G. et M. Hoff, 1995.- The Phytosociological
Database « SOPHY » Part I : Calibration of indicator plants,
Part II : Socio-ecological classification of the relevés. Proceedings of
the 4th International Workshop “European Vegetation Survey”, IAVS,
Annali di Botanica, Vol. LIII, Rome (It), 177-190 et 191-223.
De Ruffray
P., Brisse H. et G. Grandjouan, 2006.- La banque SOPHY : un changement de
paradigme. http://sophy.univ-cezanne.fr/paradigme.htm
De Ruffray
P., Brisse H. et G. Grandjouan, 2011.- Réécriture socio-écologique des relevés
phytosociologiques : in
Classifica-tion socio-écologique des 200.000 relevés de la banque SOPHY :